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Une étude sur les habitudes d'achat des personnes âgées à l'épicerie

Crédit : Getty Images

La popularité croissante des services d'épicerie en ligne modifie peu à peu les habitudes d'achat alimentaire des consommateurs. Les publicités pour ces services s'adressent surtout aux professionnels qui souhaitent gagner du temps ou aux jeunes familles débordées. Mais qu'en est-il des personnes âgées? «La question mérite que l'on s'y attarde, car les personnes âgées, plus que tout autre groupe dans la population, sont plus à risque de vivre de l'insécurité alimentaire, en partie à cause du manque de modes de transport leur permettant d'accéder à des produits frais et bons pour la santé», observe la doctorante en études urbaines Ana Bezirgani.

Les habitudes d'achat alimentaire des personnes âgées ont déjà fait l'objet de plusieurs études, précise la chercheuse, tout comme les modes de transport qu'elles utilisent pour leurs activités quotidiennes, mais aucune n'a combiné les deux aspects. «L'objectif d'une partie de ma thèse est d'analyser si les personnes âgées perçoivent l'épicerie en ligne comme une option intéressante comparativement à l'achat en personne, en tenant compte des modes de transport à leur disposition.»

La doctorante réalise sa thèse sous la direction du professeur du Département d'études urbaines et touristiques de l'ESG UQAM Ugo Lachapelle, qui dirige le projet «Nouvelle organisation de la mobilité par l'accès à l'alimentation dématérialisé (NOMAAD)», financé par le CRSH. «Le sujet d'Ana est particulièrement intéressant considérant que le gouvernement du Québec offre un crédit d'impôt pour la livraison de l'épicerie aux personnes de 70 ans et plus», nous apprend le professeur.

Dans le cadre de son étude, Ana Bezirgani a mené 61 entrevues semi-structurées avec des personnes âgées de la grande région de Montréal habitant en maison de retraite ou dans un centre communautaire. L'âge moyen des participants était de 74 ans. Un peu plus de 47 % vivaient à plus de 20 minutes de marche d'une épicerie et devaient utiliser un moyen de transport pour s'y rendre. «Nous les avons questionnés sur leurs habitudes d'achat alimentaire ainsi qu'à propos des facteurs facilitant ou limitant l'utilisation d'un moyen de transport pour aller à l'épicerie», précise-t-elle.

Des résultats étonnants

De manière surprenante et contre-intuitive, les résultats révèlent des similitudes entre les personnes âgées conductrices de voiture... et celles adeptes de l'épicerie en ligne! «Les personnes dans ces deux groupes sont très organisées, achètent souvent des aliments en grande quantité et visitent régulièrement les magasins ou les sites web, souligne Ana Bezirgani. Pour elles, acheter des aliments constitue une corvée ménagère comme une autre. Elles épluchent les circulaires à la recherche de rabais et de promotions et dressent des listes d'achats. Elles sont généralement fidèles à quelques commerces où elles ont leurs habitudes.»

Les utilisateurs des transports en commun et des déplacements actifs présentent également des similitudes. «Ils sont plus spontanés et décident leur repas à la dernière minute, note la doctorante. Ils effectuent des achats plus fréquents et en plus petite quantité, ne sont pas fidèles à des magasins en particulier et ne cherchent pas nécessairement les rabais. Pour eux, sortir acheter des aliments représente une activité physique autant que sociale, car ils rencontrent parfois des amis, vont prendre un café, etc.»

Ces résultats démontrent que le mode de transport qu'on utilise pour faire l'épicerie semble être fortement associé à des comportements d'achats, constate Ugo Lachapelle. À cet égard, l'épicerie en ligne a le potentiel de satisfaire ceux qui utilisent une automobile pour effectuer leurs achats alimentaires. «Ça tombe bien, dit le professeur, car, d'une part, nous sommes dans un contexte de prise de conscience environnementale où l'on veut réduire la dépendance à l'automobile et d'autre part, la perte de réflexes et d'habiletés forcera éventuellement ces personnes à cesser la conduite automobile. L'achat en ligne leur permettrait alors de conserver une autonomie appréciable.»

Les utilisateurs des transports en commun et des déplacements actifs qui préfèrent se rendre dans les commerces et retourner à leur domicile avec un ou deux sacs de provisions opteront sans doute, dans quelques années, pour d'autres services, estime Ugo Lachapelle. «Ces personnes aiment sortir et voir des gens. Il serait surprenant qu'elles adoptent l'épicerie en ligne, mais elles pourraient très bien faire livrer leurs achats après avoir conclu les transactions en personne.»

Ana Bezirgani a présenté les résultats de son étude lors de la 99rencontre annuelle du Transportation Research Board, en janvier dernier, à Washington. Cosigné par Ugo Lachapelle, l'article soumis est présentement en évaluation par une revue scientifique.

Redéfinir les déserts alimentaires

La question de l'accès des personnes âgées aux produits alimentaires recoupe inévitablement celle des déserts alimentaires, ces secteurs géographiques dépourvus de commerces offrant des produits alimentaires sains et variés, à des prix abordables. «L'épicerie en ligne apparaît comme une solution viable pour les personnes résidant dans un désert alimentaire», souligne Ana Bezirgani.

À l'instar de plusieurs autres chercheurs, Ugo Lachapelle et Ana Bezirgani estiment toutefois qu'il importe de repenser la définition de désert alimentaire. «Il ne s'agit pas uniquement de calculer la distance entre une épicerie ou un commerce alimentaire et le lieu où résident les gens, explique Ugo Lachapelle. Il faut également considérer d'autres variables, telles que la capacité de déplacement des gens, les heures d'ouverture des commerces ou la disponibilité des produits désirés dans les magasins. Tout cela influence la manière dont les gens effectuent leurs choix alimentaires.»

Source :
Service des communications
UQAM, 17 février 2020

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